orage et tremblements

Orage et tremblements, Didier

« La lune scintillait dans le ciel sans étoiles. Elle avançait d’un pas mal assuré jusqu’à la haute grille du parc boisé. Le vent faisait danser les ombres des arbres qui s’étiraient vers le ciel. ». 

Juliette savait déjà qu’elle se souviendrait longtemps de cette journée du 2 septembre 1962. 

Ayant tout juste obtenu son diplôme d’institutrice pour, en principe, être nommée à Mende où elle habitait avec sa mère, elle avait précipitamment été convoquée au rectorat de Montpellier. 

On lui avait annoncé qu’elle serait nommée dans un petit village au fin fond de la Lozère, à l’autre bout de la région ! 

C’est donc en fulminant contre l’Education Nationale qu’elle avait repris le volant de sa vieille 2 CV en espérant rejoindre Mende avant la nuit. 

Comble de malchance, le temps s’était brusquement assombri et un orage avait éclaté, bientôt suivi de trombes d’eau. L’essuie-glace un peu poussif réduisait dangereusement la visibilité. Pour tout arranger, la capote mal fixée n’est pas très étanche et Juliette reçoit des gouttes sur les bras tandis que la pluie rentre par la grille d’aération devant le volant. Juliette tourne la grosse molette qui permet de fermer le volet d’entrée d’air mais en quelques secondes, la buée rend le pare-brise opaque. Pour comble de malheur, le moteur se met à tousser, la voiture n’avançant plus que par soubresauts amplifiés par la suspension trop souple de la 2CV. 

Finalement, le moteur cale et la voiture s’immobilise sur le côté de la route. 

Juliette ne sait trop quoi faire : Dans une voiture normale faisant cage de Faraday, elle serait à l’abri de la foudre, mais dans la 2 CV, elle a plutôt l’impression d’être sous un parapluie avec tous les risques que cela comporte. Si l’orage menace toujours, la pluie est beaucoup moins forte. 

Elle décide donc de quitter la voiture en se munissant d’une petite lampe électrique car la nuit tombe anormalement vite, et de suivre la route bordée d’un haut mur avant d’arriver à une grille toute rouillée. Sur une plaque émaillée mais toute écaillée, elle lit le nom du Manoir des ormeaux. 

Ce lieu ne lui est pas étranger car sa mère lui en a raconté l’histoire : Il y a dix ans, le propriétaire a perdu sa femme par suite d’un accident de voiture. Demeuré inconsolable, il s’était pendu quelques mois après dans la cuisine du manoir. Le domaine a ensuite été mis en vente par de lointains héritiers mais n’a jamais trouvé preneur. 

Effrayée par le souvenir de cette triste histoire, Juliette pousse tout de même la grille : L’orage redouble de violence et elle est trempée, il faut absolument qu’elle trouve un abri. 

Elle parcourt rapidement l’allée qui mène au manoir donc la façade lui apparait à la lueur des éclairs dont la fréquence redouble. 

Sans surprise, la porte principale en haut du perron est fermée à clef. Juliette fait le tour de la bâtisse. A l’arrière de celle-ci, la porte de la cuisine n’est pas verrouillée. La jeune femme doit simplement la pousser un peu fort car le bois a gonflé et le bas de la porte frotte sur les tomettes couvrant le sol. 

Juliette est complétement épuisée et trempée. Sans réfléchir, elle monte le grand escalier conduisant aux chambres. Ouvrant la première porte qui se présente, elle cale une vieille chaise sous la poignée pour la maintenir fermée et se jette sur le matelas nu d’un grand lit en rabattant sur elle un épais couvre-lit matelassé. 

Elle sombre aussitôt dans un profond sommeil malgré l’orage qui semble se déchaîner au-dessus du manoir qui craque sous les assauts du vent qui s’est levé et dont certains volets mal fixés se mettent à claquer. 

Elle entend soudain un bruit : celui de la porte de la cuisine cédant à une violente poussée. Dans l’escalier, des pas pesants font craquer le bois vermoulu des marches. 

Juliette est terrorisée, elle retient sa respiration et dans un réflexe puéril, elle rabat le couvre-lit sur sa tête pour se cacher en ménageant une petite ouverture pour ses yeux. 

La chaise qu’elle avait coincée contre la porte tombe bruyamment au sol. 

A la brève lueur d’un éclair, la jeune femme aperçoit l’ombre projetée d’une grande silhouette hirsute. 

La panique la saisit, Juliette est une personne très rationnelle dotée d’un esprit plutôt cartésien. Elle ne peut cependant s’empêcher de se souvenir qu’elle est en plein pays du Gévaudan où la légende de la bête ayant, au 18eme siècle, tué plus de 100 personnes, est encore vivace. 

Elle entend nettement le bruit d’un halètement et de griffes sur le parquet. Terrorisée, elle se rend compte que la créature se dirige vers le lit. 

Juliette sort alors une main de sa pauvre cachette car elle se souvient avoir vu sur la table de nuit une lampe dont le lourd pied en bronze pourrait tenir lieu d’arme. 

Elle avance donc précautionneusement sa main dans l’obscurité alors que les halètements lui semblent tout proches quand soudain….. 

Elle sent une langue râpeuse lui lécher la main tandis que la bête se met à pousser des gémissements plaintifs. 

Presqu’aussitôt une lampe à pétrole éclaire la pièce, brandit par un jeune homme qu’elle reconnaît aussitôt malgré la barbe sombre qui lui mange le visage. 

C’est Marc, un ami d’enfance dont elle n’avait plus de nouvelles depuis deux ans car il avait disparu après avoir reçu son ordre de mobilisation pour la guerre d’Algérie. 

Résolument pacifiste et préférant avoir vingt ans en Lozère plutôt que dans les Aurès, Marc avait déserté et pris le maquis. Depuis huit jours, il s’était réfugié dans le manoir avec son chien, un brave briard aussi affectueux qu’imposant. 

Pour ne pas être découvert, il ne sortait que la nuit, en braconnant pour se nourrir. 

Juliette, se remit rapidement de ses émotions, d’autant qu’elle avait toujours eu un petit faible pour Marc. La fin de la nuit fut un peu agitée , l’orage n’y étant pour rien… 

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