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Attentat à la Maison Blanche, Annie

Les estivants remontent lentement de la plage, chargés de bouées, paniers et sacs volumineux. Les enfants suivent en pleurnichant, ils seraient bien restés encore un peu, histoire de fignoler leurs châteaux de sable, se baigner une dernière fois ou bien finir la partie de ballon ; le soleil est moins virulent mais il fait encore très chaud, quel beau mois de juillet !

Dans leurs poussettes, des bébés se sont endormis, épuisés par cette soirée à la plage ; une famille nombreuse, des nordiques apparemment , blonds comme les blés, à la file indienne, remonte en direction de Vaux sur Mer ; les deux plus jeunes enfants, des jumeaux probablement, juchés sur les épaules des parents, luttent contre le sommeil, et penchent tantôt à droite, tantôt à gauche. Les plus âgés marchent en ordre décroissant, creusant l’écart avec les plus petits qui peinent à suivre ! Chacun porte son équipement de plage, ses jouets,sa serviette pleine de sable ; les bouteilles et Thermos vides,mais les serviettes humides et lourdes,les sandalettes encore remplies de sable, tout cela ajouté à l’activité intense des jeux de plage et à la chaleur emmagasinée tout l’après- midi, ralentit l’allure de la  » caravane » sur ce faux plat. Chacun semble se concentrer sur l’effort et se perdre dans ses pensées : la mère se remémore ce qui lui reste comme provisions et ce qu’elle peut accommoder pour le dîner de sa troupe ; le père compte les jours de vacances restants avant de rentrer et reprendre le travail, les grands enfants pensent à leurs nouveaux amis qu’ils reverront le lendemain et qui corrigent leurs fautes de français… Les plus jeunes ont hâte d’arriver à l’appartement, ils ont soif mais il n’ont plus d’eau …

Tout à coup,assez loin, retentissent des détonations,coups de feu ou bruits d’explosion ? Et quelques secondes plus tard, une cavalcade, des bousculades en tous sens, des cris et appels au secours …
Tous ceux qui étaient encore sur la plage, se précipitent en un mouvement désordonné et confus, et se ruent vers leurs véhicules ou vers leurs appartements de location, l’air complètement paniqué… La famille qui me précède ne paraît rien comprendre à ce qui se passe, mais le climat d’agitation, comme une traînée de poudre se répand rapidement dans les rues avoisinantes.
Commencent alors l’exode,la fuite,et les interrogations: que peut -il donc se passer vers la plage et pourquoi cette panique soudaine ?
 » Il paraît qu’il y a eu des coups de feu à la Maison Blanche,probablement un attentat ! »nous crie un jeune homme, livide », il faut se sauver, et vite, les terroristes vont nous rattraper ! »
Un embouteillage monstre s’est déjà formé ,et aucune voiture ne peut avancer …
Prenant une petite rue parallèle, la famille blonde essaie de se frayer un passage tant bien que mal, pour regagner son véhicule ou bien sa location,un peu plus haut. Me retournant, je m’aperçois qu’une marée humaine s’est formée, et que certains conducteurs ont abandonné leurs voitures pour courir et trouver un abri ; des enfants se font piétiner, distancés par leurs parents, hurlent, tout en se faisant bousculer par des inconnus, indifférents à leur détresse et pressés de se cacher…

Des sirènes de police retentissent, braillant leurs sons lugubres et lancinants ,ajoutant encore de l’angoisse à l’atmosphère déjà bien agitée .
Une jeune femme, hystérique, se met à crier qu’il y a déjà des morts et que la piscine de la Maison Blanche est rouge de sang ! Ce qui ne fait qu’aggraver la terreur des fuyards ; des personnes d’un certain âge en sont venues aux mains et se bagarrent pour avoir l’accès à un immeuble et s’y mettre à l’abri ; des coups de cannes sont échangés, des insultes, coups de pieds et coups de poings … D’autres personnes, hébétées, sidérées, sont là, prostrées, et observent sans réaction, ces scènes de « guerre civile ».
Les estivants ont abandonné, sur le bord de la route, ce qui était encombrant et retardait leur fuite : des bouées en plastique, des seaux, des pelles, des sacs et des serviettes de plage …parfois même des enfants ! Un des petits blondinets qui essayaient de suivre leurs parents dans la cohue, est tombé plusieurs fois, a pris du retard sur ses aînés et regardant anxieusement de tous les côtés, se met à hurler dans une langue étrangère ( en allemand, en norvégien ??) je le remets debout essaie de le calmer et lui prends la main ; je ne vois plus sa famille qui s’est certainement mise à courir comme tout le monde autour de nous, c’est maintenant une ruée générale vers les abris.

De nouvelles détonations se font entendre plus loin,assourdies … » Ça continue, crie une femme en pleurs, ils vont tous nous massacrer, comme à Charlie Hebdo! »
J’essaie de me faufiler avec mon petit protégé vers un hall d’immeuble providentiel, mais les derniers arrivés ont bloqué l’entrée « il n’y a plus de place » ! Lancent-ils, féroces, en nous fusillant du regard. Nous nous asseyons sur les marches, le petit me broie la main, et n’est pas prêt à la lâcher.
Brutalement, le calme revient aussi vite que le désordre avait commencé…
Je remarque un ralentissement de la cohue, puis un arrêt complet, un silence, une impression de soulagement général. La nouvelle se propage aussitôt : la police n’a trouvé aucun terroriste, aucun blessé, à part ceux qui ont été méchamment bousculés dans leur fuite éperdue. Les  » détonations  » perçues n’étaient en fait que des pétards lancés par quelques gamins malicieux aux abords du restaurant de la Maison Blanche… Bien sûr, nous sommes le 14 juillet !!!
La rumeur d’un attentat, lancée par un plaisantin, avait fusé telle l’éclair, enflé, provoquant ainsi une panique générale, des scènes violentes et incivilités… L’imagination des uns et des autres avaient fait le reste …

Des gens pleurent à présent, soulagés, la tension nerveuse retombant brusquement. Chacun regagne sa voiture, la circulation reprend tranquillement, les agents de police régulant le flux sur les rues principales. Les entrées d’immeubles se vident en silence, tout le monde un peu choqué par cette aventure, on ramasse les objets abandonnés, les groupes se reconstituent, certains ont la force de rire, mais d’autres ont besoin de temps pour récupérer de leurs émotions.
Le ciel est toujours bleu, au loin la mer scintille, les châteaux de sable seront bientôt détruits par la marée montante…
J’aperçois la famille de mon petit blond, revenant sur ses pas pour récupérer les serviettes et jouets laissés sur le trottoir… Je vais vers les parents pour leur remettre leur fils. Dans la panique, ils ne s’étaient même pas aperçus de son absence.

Iront-ils voir le feu d’artifice de Royan ce soir ? Ou auront-ils eu assez d’un bain de foule mouvementé pour leur 14 juillet en famille.

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