popcorn

Pour une poignée de pop corn, Élise, Lucas & Jacques

 Mardi 23 mai. 8H50. Commissariat de Royan

Dans son bureau mal éclairé, l’inspectrice de police Choupinét, sirote son café, tenant son mug, à deux mains, pour mieux se réchauffer.

Son binôme, John Son est assis face à elle, dans un fauteuil, totalement défoncé.

Personne ne connait le prénom de « Choup » comme la surnomment affectueusement ses collègues.

Lui exige du « Monsieur John Son », à la fois en référence à sa chanteuse préférée et pour compenser sa jeunesse.

Ces deux-là, bien que tout les oppose, forment une solide équipe.

 

Elle, de taille plutôt petite, est un beau brin de fille.

Lui, grand échalas, est beau de loin, mais loin d’être beau.

Elle a de beaux yeux verts, qui illuminent sa frimousse de rousse aux cheveux courts.

Lui a des yeux bleus délavés de chaque côté d’un nez fort, des cheveux mal lavés et peignés sans efforts.

Le calme imperturbable de Choupinét contraste avec le comportement souvent immature du jeune John Son.

Choup est native de Charente Maritime et n’a quasiment jamais quitté la région.

Lui, né d’une mère française et d’un père australien, a été explorateur, puis photographe avant d’intégrer les Forces de Police de Sidney. Il est en France pour parfaire sa formation.

Ensemble, ils se complétaient et obtenaient de brillants résultats.

A cet instant, le commissaire Gustave fait irruption dans le bureau, brisant le silence ambiant.

« – On vient de découvrir un corps sur les rochers de la plage du Bureau, à Saint-Palais-sur-Mer. Posez vos tasses et allez-y ! »

Miss Choupinét râle et marmonne : «Punaise, jamais le temps de prendre son café , dans cette baraque»

Sur le point de sortir du bureau, le commissaire s’arrête et se retourne.

– « Bougez-vous, et partez illico ! »

John Son, qui rêvassait dans son coin, s’exclame : Mais Patron, … on n’a pas d’hélico !

Il ne reçut pour toute réponse de la part du commissaire qu’un haussement d’épaules.

Les deux policiers sautent dans la vieille camionnette Renault de couleur pie, stationnée sur le parking du commissariat.

Le compteur affiche allégrement 5 tours du monde.

Choup prend le volant.

En montant dans le véhicule, Monsieur John Son, souvent maladroit, se cogne la tête.

« Aïe ! Foutue bagnole ! encore une bosse ! » dit le jeune homme.

« T’auras qu’à te plaindre au Boss » lui répond sa collègue, hilare.

Poussive, la camionnette, à fond de troisième, rentre péniblement sur la rocade.

Le girophare lance de timides rayons bleus dans le ciel rose du matin.

Dans les virages serrés des rond-points successifs, les pneus, trop lisses, ne crissent même pas.

Le couple de policiers traversent Courlay.

Au niveau de la Médiathèque, le véhicule ralentit. Choup est méfiante.

C’est l’heure où les élèves du cours de théâtre arrivent. Et ces garnements ne sont pas tous des « Ange ».

Le fourgon descend vers le centre-ville. La plage du bureau est déserte.

Un ruban de rubalise en interdit les accès au public.

La camionnette passe devant l’ancienne Poste et se gare à proximité du bâtiment des Douanes.

Choup et John en descendent.

 

 Mardi 23 mai. 9H30. Saint-Palais sur Mer. Chemin des Pierrières

Un policier municipal les accueille. En lecteur assidu de San-Antonio, et parlant l’argot couramment, il se dit intérieurement : « 22, v’là la Rousse »

Il leur sourit : « C’est par là ».

Un corps de femme gisait sur les rochers des Pierrières. Ils s’en approchèrent pour les premières constatations.

Aucune trace de lutte. Pas de sang sur les rochers. Les vêtements étaient bizarrement déchirés.

– « Elle avait des papiers ? un sac à main ? » demande John Son au policier.

– « Rien. Juste un smartphone » répond l’agent.

Choup saisit le téléphone et l’allume. L’appareil lui demande un code.

John Son vient sauver sa collègue. « T’inquiète, ça se déverrouille avec le doigt »

Il s’approche et saisit la main droite bleuie de la victime. Il applique l’index sur l’appareil. Rien ne se passe.

« Elle est peut-être gauchère » se dit-il. Il essaie à nouveau avec l’index de l’autre main.

« Bingo ! » L’empreinte digitale est détectée. L’écran d’accueil s’allume.

Monsieur John Son parcourt les écrans de l’appareil à la recherche de l’identité de la victime. Le statut WhatsApp passe aux aveux rapidement : Gladys Mouillé

Il liste rapidement les contacts : Géraldine Mamounette / Gilbert / Gildas …

Dans le journal d’appels, John Son lit le nom du dernier correspondant de la victime : Gilbert.

Sur l’écran tactile, il effleure la touche verte. A quelques kilomètres de là, un téléphone sort du mode « veille » et se met à vibrer.

 

L’inspectrice Choupinét salue le médecin légiste qui vient d’arriver sur les lieux.

– « Bonjour Docteur Gérart. La victime est à vous. Je vous laisse faire votre boulot. J’attends vos conclusions au plus vite. »

 

 Mardi 23 mai. 15h. Commissariat de Royan

Dans la salle d’interrogatoire, un grand type, la petite trentaine, se balance sur sa chaise.

Il a l’air naïf d’un jeune enfant. Il semble ne pas comprendre pourquoi il est là.

John Son pose les premières questions.

– « Alors, Gilbert…quelles étaient vos relations avec Gladys Mouillé, la victime ? »

– « C’est..c’était une collègue, au zoo de la Palmyre »

– « Juste une collègue ? on a lu vos sms »

– « Ouais, d’accord. c’était ma copine »

– « Quand l’avez-vous vue pour la dernière fois ? »

– « Hier. le 22, au zoo »

 

Pendant ce temps, l’inspectrice relisait le rapport d’autopsie du médecin légiste :

Nom : Mouillé

Prénom : Gladys

Sexe Féminin. Âge 27 ans.

Corps retrouvé disloqué sur les rochers des Pierrières le 23 mai, dans la matinée.

Cage thoracique enfoncée. Visage écrasé.

Vêtements déchirés. Cause des déchirures inconnue. ni lame tranchante ni mains humaines.

Grains de sable dans les cheveux. Sable d'origine non marine.

Les analyses de sang ne révèlent aucune trace de poison ni de drogue.

Absence d'eau dans les poumons

Analyse du bol alimentaire : résidus de pop corn dans l'estomac

Conclusions :

Le corps de la victime est resté dans l'eau toute la nuit.

La mort remonte à la journée du 22 mai en fin d'après midi, entre 17 et 19h.

La victime n'est pas morte noyée mais suite à un choc violent au visage et au sternum.

L’inspectrice Choupinét se tourna vers Gilbert.

– « A l’heure du décès de la victime, vous n’avez pas d’alibi ».

– « en Libye ? Vers l’Égypte ?.. pourquoi je serais allé en Libye.

– « Aucun alibi, je vous dis » s’énerva Choup.

« En revanche, vous avez un mobile » affirma la belle rousse.

– « Ben oui, j’ai un mobile. Comme tout le monde, j’ai un téléphone »

– « L’entretien est terminé ». cria-t-elle. « Remets-le en cellule » dit-elle à John Son, à la limite de la crise de nerfs. et « fais entrer le candidat suivant ».

 

Gildas entre accompagné d’un policier.

Agé d’une quarantaine d’années, Gildas traîne une longue silhouette dégingandée. Il donne l’impression de sortir tout droit de l’océan, habillé d’une combinaison de surf, le teint hâlé par le soleil et les cheveux mouillés.

Son esprit semble perturbé comme s’il n’arrivait pas à se remettre de la mort de Gladys.

L’entretien se déroula de façon mécanique : « nom, prénom, âge, situation familiale, profession…. » avec la sempiternelle question : « où étiez-vous le 22 mai à 18 h ? »

« chez mon amie » répond-il.

Tel un match de tennis, la partie de question/réponse s’accéléra.

« son nom ? » « Géraldine » « la mère de la victime ? » « oui. Nous avons une liaison depuis deux ans. » « à quelle heure êtes vous rentré ? » « un peu avant 18h » « y avait-il des tensions entre vous et la victime ? »

« non, pas du tout. c’est la fille de ma compagne, ma future belle-fille en somme».

L’inspectrice marqua une pause.

Observant la scène, John Son se revoyait à Melbourne, spectateur de l’Open d’Australie : «40A. Bel échange. Balles neuves »

Il prit son carnet et nota : suspect Gildas. Ce gars n’est pas net. Il nous cache quelque chose.

 

Gildas quitte la pièce. Géraldine entre à son tour.

Elle a les yeux d’une mère qui vient de perdre sa fille, rougis par les pleurs et gonflés par le manque de sommeil.

Elle confirme que Gildas était bien chez elle la veille en fin de journée.

 

 Mardi 23 mai. 19h. Commissariat de Royan

Les interrogatoires sont désormais terminés.

L’inspectrice et son équipier échangent leurs impressions.

John Son reprend ses notes. Il a succinctement griffonné quelques mots dans son carnet.

Contrairement à Choup qui est, bien évidemment, précise et méticuleuse. Tout y est classé par ordre alphabétique. Il est vrai que la rousse a beaucoup plus de vocabulaire.

 

 Mercredi 24 mai. 8H10. Commissariat de Royan

Choup avait très mal dormi. Elle était grincheuse. Les pièces du puzzle ne s’emboîtaient pas comme elle le voulait.

Quant à Monsieur John Son, il avait été plusieurs fois pris de nausée et n’avait pas fermé l’oeil de la nuit. Les images du visage de la victime le hantaient.

 

 Mercredi 24 mai. 10H15. Commissariat de Royan

Le téléphone du bureau des inspecteurs sonne. Choup décroche.

«Allo… Choup ? C’est Gaspard à l’accueil. Y a un père avec son fils qui veulent vous parler. C’est pour l’affaire « Gladys Mouillé»

«J’arrive tout de suite» répond la jeune femme en raccrochant.

Gabin, un adolescent, explique aux policiers, sous le regard de son père, qu’il a survolé avec son drone le zoo de la Palmyre et qu’il a filmé les animaux.

« Un drone ? » s’étrangle John Son « mais c’est interdit, gamin ! »

« Euh… non, M’sieur, moi c’est Gabin »

Choup intervient : « Allez raconte »

« Il faut que je vous montre quelque chose de chelou » répond l’adolescent. « j’ai fait une copie sur ma clef USB »

Le groupe visionne les images … d’un magnifique survol du Zoo de la Palmyre.

 

Un kaléidoscope de points brillants roses, blancs et noirs, étincelants reflets des flamants dans l’eau à l’entrée du Parc, de grosses têtes de girafes tendant leur long cou vers cet insecte bizarre qui vient troubler leur repas, les dos cuirassés des rhino féroces, la famille ourse, grande et petite, puis les lions et lionnes allongés côte à côte, véritablement félins pour l’autre, les ….

John Son s’impatiente. « C’est pour quand ton truc chelou ? »

« Attendez un peu » dit l’ado. « C’est juste après»

En effet, à proximité de l’enclos des éléphants, une silhouette masculine semble se disputer avec une femme.

Il cherche à l’embrasser. Elle le gifle. Il la pousse en arrière. Elle tombe à la renverse.

Elle bascule dans la fosse aux éléphants. Elle est inanimée au sol. L’homme paniqué s’éloigne.

Quelques minutes plus tard, la femme tente de se relever. Elle n’y parvient pas. Sa jambe semble cassée. Elle cherche comment escalader la paroi. Impossible. La fosse est trop profonde.

La silhouette féminine rampe jusqu’à l’abri des animaux.

Fin de l’enregistrement.

« C’est tout ? » dit John Son.

« C’est déjà pas mal » dit l’inspectrice. « laissez-nous le disque dur. On va le donner pour analyse à la Police Scientifique de Royan »

Une fois seuls, John interpelle sa cheffe.

« la Scientifique de Royan ! Tu y vas fort. Ah ça fait riche. La scientifique, c’est bibi avec son ordi. On est loin des « Experts à Pontaillac » ! »

John Son s’assoit au bureau et allume son ordinateur portable. Il déroule à nouveau l’enregistrement, fait des arrêts sur image, zoome, dézoomme, fige l’image et lance l’impression.

L’imprimante du bureau crachote. Sur la feuille de papier, la silhouette reconnaissable de Gildas apparaît.

« J’en étais sure » s’exclama la belle Choupinét.

« Rien ne prouve qu’il est l’assassin. Elle était vivante quand il est parti » rétorqua John Son.

« Convoque-les tous ! je veux les interroger à nouveau »

« OK ! Choup »

 

 Jeudi 25 mai. Midi. Commissariat de Royan

La rousse policière relisait les compte-rendus d’interrogatoire.

Gildas n’avait pas mis longtemps à reconnaître être venu au zoo rencontrer Gladys.

Amoureux d’elle depuis longtemps, il lui avait déclaré son amour. Elle avait éclaté de rire. Il avait voulu l’embrasser.

Les images du drone racontaient la suite.

Géraldine avait confirmé que Gildas était rentré chez elle, dans un grand état d’énervement.

Elle tomba en larmes quand elle apprit l’amour secret de son compagnon pour sa fille.

Gilbert avoua avoir trouvé le corps de Gladys dans le refuge des éléphants. Elle gisait dans son sang. Morte. Le corps piétiné par l’éléphant Gaëtan sur la patte duquel on retrouva le sang de Gladys.

Gilbert imagina la scène : Gourmand, Gaëtan l’avait certainement attrapée avec la trompe et secouée pour que des pop corn tombent de sa poche. Gladys en mangeait beaucoup et en avait toujours pour lui. Ce jour-là, pour son malheur, elle avait mangé le reste du paquet. Fort déçu de ne pas en trouver, l’éléphant l’avait lancée en l’air. Au sol, il avait déchiré ses vêtements avec ses défenses. Enfin il l’avait écrasée avec sa patte et ses 5 tonnes de muscles.

Par crainte que son ami pachyderme soit abattu, Gilbert avait transporté le corps de son amie jusqu’à la capitainerie. Il avait alors jeté à l’eau son corps pour simuler un accident, espérant que l’on croit que les blessures étaient dues aux chocs sur les rochers.

Les flux marins avaient fait le reste en la transportant plus loin au Sud.

La presse nationale s’était largement fait l’écho de cette affaire.

Le parti animaliste avait dépêché son meilleur avocat pour assister l’animal mis en cause.

 

 Vendredi 26 mai. 8H05. Commissariat de Royan

Une fois de plus, les policiers avaient rapidement bouclé leur enquête mais ils n’étaient pas satisfaits.

Il y avait une victime mais pas d’assassin à mettre derrière les barreaux.

Le vrai coupable vivait déjà en captivité. Condamné à la perpétuité, derrière les barrières du zoo.

Gildas et Gilbert avait été inculpés. L’un pour violences, l’autre pour avoir maquillé un meurtre accidentel en accident mortel.

La pauvre Géraldine qui n’avait rien fait aurait à subir la peine maximale : la perte de sa fille.

 

Choup mit une pièce dans le distributeur de boissons chaudes.

Le gobelet se positionna et un filet de café bouillant coula.

Elle prit son café et se tourna vers son collègue.

« Pauvre Gaëtan, malheureux éléphant » dit-elle. « Un jury va prochainement statuer sur son sort »

« Faudra t-il l’euthanasier ? Ou bien le laisser en captivité ? »

« Tu vois, John » dit Choup, avec un sourire malicieux, « je ne voudrais pas être à la place de l’avocat qui va assurer sa … défense ».

Élise, Lucas & Jacques

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