les canards de la seudre

Les canards de la Seudre, Annie

Voilà quelques jours déjà, qu’en promenant mon chien le long de la Seudre, j’ai remarqué un calme, une absence, un « blanc », quelque chose d’inhabituel dans le cadre. On perçoit mieux les pépiements des oiseaux, un peu comme lors du confinement au printemps dernier. Je n’arrive pas à mettre le doigt dessus, mais un coin de mon cerveau constate une anomalie !

Ce début d’automne a été marqué par une tempête, des précipitations, tragiques dans le sud est de la France, une grisaille et l’obligation de mettre le poêle en route pour chasser toute cette humidité. Le beau temps quasi estival est revenu mi-octobre. Les feuilles tombent et craquent agréablement sous nos pas, les mouettes sont au « garde-à-vous » sur le port et attendent que quelqu’un veuille bien leur lancer un peu de pain rassis.

Un attroupement attire mon attention : une bonne dizaine d’hommes et femmes en grande conversation au niveau des écluses de Ribérou. Comme j’ai encore l’ouïe fine malgré mon grand âge, je capte des bribes de la discussion. J’ai reconnu Monsieur le Maire au milieu du groupe qui hoche gravement la tête et écoute les remarques des uns et des autres. L’instant est manifestement solennel, voire « moment historique ! »

« ça devait arriver un jour ou l’autre avec tout ce que les passants balancent là-dedans tous les jours ! Tous savent pourtant que c’est déconseillé ! »

« Et puis avec les gens du voyage qui traînent en ce moment … ça coïncide bien! »

« Et avec la crise sanitaire qui se prolonge, les gens sont dans la misère et affamés …Allez savoir ! »croasse une femme en tailleur imitation Chanel.

« Pourquoi pas ? C’est quand même meilleur un canard à l’orange que du pangolin » !

J’y suis ! Les canards de la Seudre ! Ils ont disparu ! Je le savais qu’il y avait un trou dans ce paysage ! Plus aucun canard (bien gras,bien gonflé par tout le pain sec jeté par les habitants ou touristes), le long du petit fleuve ou sur le lac… Des familles entières de canards, la mère en tête ,droite et fière, les petits à la queue-leu-leu, chahutant gentiment… Les mâles ailleurs à se vanter de divers exploits virils ! Et les mouettes vociférant au-dessus pour leur voler leur pitance !

Disparues comme par enchantement, les colonies de canards, disparus les volatiles qui vous toisaient de leur superbe ! Des petits nouveaux -nés, des adolescents bagarreurs, des grands canards adultes… Pas l’ombre d’une plume !

« Nous allons organiser des recherches ! »décide le Maire»il faudra des volontaires ! Par exemple, des retraités qui s’ennuient ! ça leur changera les idées ! L’actualité est tellement morose, pour ne pas dire anxiogène, que marcher en plein air ne peut être que bénéfique pour nos « personnes à risque »! Je vais de ce pas faire établir des listes de volontaires par mon secrétariat et tout d’abord informer la population de ce désastre, de ces mystérieuses disparitions. Il faudra former des équipes, marcher en ligne, tout droit et ouvrir l’oeil… Et le bon ! 

En fonction de la météo et en espérant qu’elle reste clémente, les battues pourraient débuter dès lundi matin, il n’y a pas de foire ! Je vais aussi contacter les réseaux sociaux, très actifs sur notre commune, avec la création dernièrement de groupes genre « les amis de Saujon «   ou « les amis de Pierre Loti » et autres ! ils propageront rapidement la nouvelle.»

« Encore un coup des Chinois ! »risque un homme barbu …

« Pas de conclusion hâtive avant d’avoir prospecté ! »rétorque Monsieur le Maire pour apaiser le trop plein d’imagination de certains.

Le groupe s’éparpille, telle une envolée de moineaux turbulents et bavards.

L’ambiance de notre petite ville Charentaise « maritimeuse », bien paisible d’habitude, s’est brusquement transformée : des journalistes, la télévision locale, des caméras, des interviews sauvages en pleine rue Carnot … L’événement est pris très au sérieux et chacun y va de son couplet et de sa théorie : pollution, réchauffement climatique, les chasseurs, les pêcheurs, les « cueilleurs »… les enfants dénutris ces derniers temps et qu’il faut bien nourrir, les grandes surfaces mal approvisionnées et les populations locales victimes de graves pénuries, le couvre- feu généralisé à la France entière… Un virus étrange atteignant seulement les palmipèdes quasiment domestiques ,bref ! On imagine, on suppute, on amplifie, on dramatise et on répète de travers ! A Saujon, la COVID 19 a été oubliée, supplantée par l’affaire »des canards de la Seudre ».

Un soir entre « chien et loup », rentrant à vélo d’une promenade sur le sentier de l’Eguille, je décide de faire le tour du lac. Au niveau du pont de la voie rapide Royan -Saintes, silencieuses et concentrées, des dizaines et des dizaines d’ombres côte à côte sont regroupées, bec en avant, le regard tourné dans le même sens. Il y a des semaines, des fresques ont été peintes sur les arches du pont. D’un style très coloré, enfantin, un peu naïf mais plutôt sympathique, le tout égaie cet endroit inhospitalier, sombre et bruyant avec la circulation parfois incessante au-dessus !

En tout cas, le spectacle et la contemplation de ces dessins plaisent bien aux palmipèdes qui se sont installés de parts et d’autres, dans les fossés profonds et humides, de telle sorte que leur présence est insoupçonnable. Ils profitent donc à loisir du spectacle gratuit et coloré.

Qui a critiqué ces fresques enfantines et dit qu’elles ne cassaient pas trois pattes à un

canard ? Et qui savait que les canards étaient sensibles à l’art graphique ?

Pour ma part, je n’ai pas fait de bruit et je ne les ai pas dénoncés au conseil municipal… Qui a d’ailleurs fort à faire avec les problèmes de petite délinquance et des invasions de termites gourmands, sans compter le couvre-feu à faire respecter dans cette petite cité de noctambules et fêtards invétérés !

Depuis, les canards ne sont pas revenus, tout du moins en plein jour, nager en rangs d’oignons sur la Seudre…

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