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Bizarre, Didier

 Bizarre 

Cela avait commencé par un évènement de peu d’importance mais qui avait connu un énorme retentissement car des millions de téléspectateurs y avait assisté en direct. 

Ce fut le soir où le Président de la République intervenait à la télévision pour confirmer la fin de l’alerte sanitaire et rendre hommage à tous ceux qui avait permis le succès de la campagne de vaccination. 

Comme c’était toujours le cas, l’allocution était traduite en langage des gestes à l’attention des malentendants. 

La jeune traductrice qui peinait à suivre le débit un peu rapide du Président se mit soudain à prendre le contrepied des propos de celui-ci : Alors que le Président remerciait les français de leur confiance, elle tira avec son index, le bord de sa paupière inférieure. Au moment où le Président exprimait sa profonde tristesse en saluant la mémoire des nombreuses victimes de la pandémie, elle se mit à se secouer joyeusement les côtes. A l’évocation de la joie des retrouvailles au sortir du confinement, elle porta son poing fermé à son nez en simulant un mouvement rotatif. Pour clore sa démonstration, elle finit par désigner le Président de son pouce gauche tout en se tapotant la tempe de son index droit. Le responsable de la communication présidentielle eu bien du mal à faire croire à de simples erreurs de traduction…. 

D’autres incidents bizarres se produisirent ultérieurement. 

A son arrivée en gare de Montparnasse un lundi matin, le conducteur du train de banlieue se mit à invectiver les voyageurs en leur expliquant que la météo ayant prévu une journée magnifique, il était inhumain de la gâcher en allant s’enfermer dans un bureau pour se livrer à des tâches inintéressantes. Il enjoignit aux voyageurs de monter dans le TGV stationné sur le quai voisin qui s’apprêtait à partir pour La Rochelle, en leur vantant tous les bienfaits d’une échappée en bord de mer. Le plus surprenant, c’est qu’il fut obéi par une majorité des voyageurs, qui prirent la mine réjouie de gamins faisant l’école buissonnière 

Dans une succursale du Crédit Industriel de France, le Directeur mit en place une gestion très particulière des comptes de ses clients : Il prélevait chaque semaine quelques dizaines d’euros sur les comptes des clients les plus riches puis investissait les sommes prélevées dans divers jeux de la Française des jeux. Comme il était chanceux, il gagna beaucoup et souvent. 

Version bancaire de Robin des Bois, il se servit de ses gains pour renflouer les comptes de ses clients en situation de surendettement dont le nombre avait explosé par suite de la pandémie. De la même façon, il crédita généreusement les comptes de tous les petits commerces, restaurants, entreprises de spectacle qui se trouvaient au bord de la faillite. 

Le système de contrôle automatiques de la banque ayant découvert les accommodements du généreux banquier, il fut convoqué en vue de son prochain licenciement. Les clients « gratifiés » mobilisèrent les réseaux sociaux en sa faveur. Même les clients mis à contribution à leur insu refusèrent de porter plainte, probablement peu soucieux d’attirer l’attention sur le détail de leurs avoirs bancaires. Le Directeur de succursale fut finalement « gracié » par sa Direction Générale qui le promut à la tête d’un nouveau département « banque solidaire » créé pour l’occasion. 

Un matin, à l’école Sainte Geneviève de Versailles (Ginette pour les intimes) les élèves d’une classe préparatoire aux concours des grandes écoles subissaient les ratiocinations assommantes d’un professeur de philosophie particulièrement réactionnaire. 

Alors que le professeur stigmatisait la liberté des moeurs qui ne manquerait pas de saper les fondements de la société française, les jeunes garçons et filles composant l’auditoire, réagissant peut être au mot ‘’saper’’ se mirent aussitôt à se…désaper ; C’est complètement nus qu’ils se livrèrent à des ébats dont la passion semblait vouloir effacer le souvenir des longues semaines de confinements qui avaient gâché leurs vingt ans. 

Un épisode de plus grande ampleur se produisit à l’occasion d’une manifestation des personnels soignants devant le Ministère de la Santé. 

L’Etat avait massivement investi en créant de nombreux lits d’hôpital, en revalorisant les salaires et en créant de nombreux poste de médecins difficilement pourvus en raison des séquelles du numérus clausus. 

Les mesures décidées tardaient cependant à se concrétiser et les soignants tellement mis à contribution étaient à la fois épuisés et exaspérés par les promesses non encore tenues. 

Les professionnels de santé décidèrent donc de s’assembler en grand nombre pour porter leurs revendications au Ministère de la Santé 

L’ambiance de la manifestation était très tendue et le Préfet de Police avait mobilisé des forces de police considérables en faisant appel à des effectifs eux-mêmes épuisés par les mois passés à maintenir un ordre social souvent chahuté. 

Des deux côtés, l’exaspération était à son comble. Alors que les manifestants s’avançaient encore vers le Ministère, les responsables de la police leur intimèrent l’ordre de reculer en les avertissant qu’à défaut, la charge serait donnée. En fait les manifestants, mal encadrés par leur service d’ordre, étaient dans l’incapacité de reculer car ils étaient poussés par la foule en queue du cortège. 

L’ordre fut alors donné de charger, les matraques se levèrent de même que les fusils à balles plastiques tristement connues pour provoquer de sévères blessures. 

En face des policiers portant protections et boucliers hérités du moyen âge, des infirmières et des médecins en blouses blanches. L’ordre de charger ayant été répété, les policiers avancèrent d’un pas mais hésitèrent, manifestement troublés à l’idée d’abattre leur matraque sur ceux qu’en d’autres temps, on applaudissait tous les soirs pour les remercier de leur dévouement.. 

Profitant de ce moment de bascule au bord de la violence, quelqu’un poussa un cri : « la police avec nous ! » 

C’est alors que les policiers, baissant leurs matraques, tombèrent dans les bras des premiers manifestants puis entrèrent dans leurs rangs pour s’abandonner à des étreintes fraternelles mêlant les larmes aux sourires. Quelqu’un eut alors l’idée de remplacer sur la sono les mots d’ordre de la manif par la fameuse valse de Chostakovitch. Sur le Champs de Mars voisin, Un immense bal fut ouvert par un commandant de CRS que son lourd équipement de protection n’empêcha pas de faire joliment tournoyer une digne professeur de médecine en blouse blanche dont le stéthoscope tenait lieu de rivière de diamant. 

La tension étant décidemment retombée, une délégation, de soignants fut désignée pour rencontrer le Ministre autour de coupes de Champagne et une négociation put s’engager dans un climat apaisé. 

Bien d’autres évènements bizarres se produire encore : le télétravail subsistant encore après la fin de la pandémie, on vit des téléconférences de travail vite expédiées pour laisser place à des conversations tout à fait amicales au cours desquelles des gens qui se côtoyaient depuis des années découvraient soudain leur passion commune pour la musique, la poésie ou la bonne cuisine. 

On vit aussi des joueurs de football professionnels renoncer spontanément à la plus grande partie de leur salaire mensuel de 300 000€ pour permettre à leur club de redresser ses finances et partir animer gratuitement des séances d’entraînement dans des banlieues populaires. 

Bien entendu, les complotistes ne manquèrent pas d’imputer ces phénomènes aux effets secondaires des vaccins volontairement provoqués par le pouvoir politique pour désamorcer tout mouvement de révolte populaire. 

Mieux inspirés, des sociologues et psychologues plus avisés expliquèrent que toutes ces bizarreries étaient simplement dues à des reflexes de décompensation répondant aux angoisses générées par la crise sanitaire. 

FIN 

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