CAMPAGNE

Vertes années, douce campagne, François Romain

C’était au tout début des années soixante, j’avais sept  ou huit ans.

Tous les étés, on m’envoyait passer un mois d’été dans la Sarthe, dans un petit village nommé Cérans-Foulletourte, à une vingtaine de kilomètres du Mans où mes grands-parents avaient pris leur retraite, quittant la région parisienne.

Mes parents étant tous deux enfants uniques, je n’avais pas de cousins pour me tenir compagnie et ma sœur qui avait six ans de plus que moi, préférait rester chez nous en région parisienne.

Malgré la sollicitude de mes grands-parents, je m’ennuyais un peu dans leur grande maison sans jardin située dans le bourg à l’ombre de l’église.

Heureusement, mes grands-parents étaient amis avec des fermiers dont la petite exploitation se trouvait à 3 kms du bourg, dans la campagne vallonnée ou alternaient prés, cultures fourragères et bois de pins

Je ne sais plus comment ces fermiers sarthois et ces ouvriers parisiens s’étaient rencontrés, de nombreuses années auparavant, peut-être la guerre et les hasards de l’exode ou encore les nécessités du ravitaillement pendant l’occupation allemande.

Heureusement pour moi, ces fermiers avaient établi leur fille Andrée dans une ferme voisine lors de son mariage avec Maurice Luceau qui était à la fois agriculteur, et ouvrier dans l’usine Renault du Mans. Il faut dire que la petite exploitation d’une vingtaine d’hectares et d’une quinzaine de vaches laitières n’aurait pas suffi à nourrir toute la famille.

Maurice était un petit homme tout sec avec une moustache à la Jean Ferrat, Andrée était une grande et forte femme, mais ce couple apparemment mal apparié s’aimait tendrement. Ils avaient trois enfants : Bénédicte :4 ans, Pascal :7ans, Jean-Marie 9 ans. Ce n’est pas par hasard si leurs prénoms avait des connotations religieuses car la famille était très catholique, (le frère d’Andrée était abbé), mais cultivait une foi très ouverte et généreuse. Andrée était une femme au grand cœur, toujours de bonne humeur mais d’un caractère bien trempé.

Dès que je le pouvais sans pour autant froisser ma grand-mère un peu jalouse, j’enfourchais une antique bicyclette peinte du même vert pomme que le portail de la maison pour rejoindre mes amis.

Quand mes grands-parents rendaient visite à leurs amis, ils me déposaient donc au passage chez André, et je passais alors de merveilleux après-midis avec mes cousins d’adoption.

Je commençais d’abord par rendre visite aux lapins, je leur cherchais des tiges de plantain dont ils étaient très gourmands pour leur glisser à travers le grillage de leur clapier.

Ensuite, S’il faisait beau, la joyeuse troupe composée des quatre enfants et des deux chiens de la ferme, Tommy et Pyram, partait s’égailler dans les prés voisins avec pour seule consigne d’éviter ceux dans lesquels le foin n’avait pas encore été fauché.

Il y avait aussi les « landes » en, fait des forêts de pins dans lesquelles nous construisions des cabanes.

Je me souviens aussi d’une vieille bicyclette sur laquelle les trois garçons n’hésitaient pas à monter tous ensemble, la petite Bénédicte se tenant prudemment à l’écart. Grand bien lui fit car il arrivât qu’en se livrant à une improbable démonstration vélocipédique, les trois garçons versèrent carrément dans un superbe massif d’orties.

Le retour à la ferme, les bras et les jambes (nous portions évidemment des shorts) couverts de piqûres d’orties fut peu glorieux : Nous pleurnichions en nous grattant frénétiquement sans obtenir de soulagement. Andrée commença par nous consoler en nous disant que les orties étaient très bonnes pour la circulation du sang : En effet, nos bras et nos jambes étaient d’un beau rouge vif ponctué de boutons blancs à l’endroit des piqûres ! Mais comme elle avait bon cœur, elle coupa un oignon en deux et nous frotta avec, puis aussi pour en dissiper l’odeur, elle cueillit quelques feuilles de menthe qui poussaient au bord de la cour pour nous frictionner, ce qui finit de dissiper les démangeaisons.

Pour nous remettre de nos émotions elle nous distribua de bonnes tranches de pain de campagne beurrées et tartinées de confiture de rhubarbe du jardin, le beurre fermier légèrement salé adoucissant délicieusement l’amertume de la rhubarbe.

Après cet excellent goûter, l’heure était venue d’aller rentrer les vaches. Nous avions juste à traverser la petite départementale de gravillons blancs qui bordait la ferme, pour prendre un chemin de terre conduisant aux prés. Nous nous armions de bâton de noisetiers tout polis par l’usage, dont je n’ai jamais bien compris l’utilité cat il ne s’agissait pas de taper sur les vaches qui connaissaient d’ailleurs par cœur le chemin de l’étable.

Pour faire le malin, Jean-Marie me racontait que les bâtons servaient à faire fuir les vipères et me racontait même qu’il arrivait que les serpents tètent les mamelles des vaches car ils sont friands de leur lait. (On parle de légendes urbaines mais que de légendes rurales !)

En présence des bovins qui me paraissaient énormes, j’éprouvais un sentiment mêlé de plaisir, car j’avais l’illusion de les commander, mais aussi de peur devant leur masse imposante et leur regard inexpressif. Je me souviens avoir fait, pendant des années un cauchemar où je devais traverser un troupeau de vaches au comportement menaçant.

Il y avait aussi les après-midis de pluie et ce n’étaient pas pour autant les plus ennuyeux.

Notre petite bande se réfugiait alors dans le grenier à foin qui se trouvait juste au- dessus de l’étable.

Le foin tout juste fauché exhalait une odeur d’herbe à peine sèche, de menthe et de fleurs dont je raffolais.

Nous commencions d’abord à nous aménager une sorte d’amphithéâtre en haut duquel je m’installai, les trois autres enfants prenant place sur des gradins rudimentaires en contre-bas.

Alors le one man shaw pouvait commencer et je me lançais dans un spectacle improvisé consistant à raconter et à mimer des scènes tirées de ce que je croyais comprendre de la vie des adultes. Je me livrais à des imitations approximatives de personnes de ma famille ou de celle de mes petits amis sarthois en racontant des anecdotes inventées de toute pièce.

Ces clowneries avaient en tout cas le mérite de faire beaucoup rire mon jeune auditoire très bon public, en particulier la petite Bénédicte pourtant d’ordinaire si timide et réservée dont j’entendais les éclats de rire tonitruants avec beaucoup de plaisir. En particulier, mes imitations approximatives d’accent sarthois lors de conversations truffées de « Dame oui ! » ou de « Heu la donc ! » les amusaient tout autant que l’accent « parigot » que j’adoptais pour caricaturer les membres de ma famille.

Mais un jour, ces imitations furent la cause d’une des plus grande hontes de ma vie.

Je ne m’étais pas aperçu qu’Andrée s’était glissée dans le grenier et s’était cachée derrière une poutre pour assister elle aussi au spectacle.

C’est juste après une laborieuse imitation d’elle-même où il était question de « poules qui ne voulions point pondre, c’est- y pas malheureux » que je découvris sa présence.

Je pris tout de suite conscience de la bassesse de mon comportement dans la mesure où je me moquais bêtement d’une si bonne personne qui m’accueillait si généreusement dans sa famille.

Ce qui me fit encore plus mal, c’est que je vis qu’Andrée avait les larmes aux yeux.

Pendant un instant qui me parut durer une éternité, je redoutai l’éclat de colère que mon inconduite allait sans doute provoquer chez cette femme généreuse mais au fort caractère.

Au lieu de cela, la brave femme partit dans un énorme éclat de rire (je compris alors de qui Bénédicte tenait), en riant, effectivement aux larmes à mon plus grand soulagement

Tout se termina donc, très bien, Andrée dont l’esprit était aussi large que son cœur était bon, me demandant même de l’inviter lorsque je donnerai mon prochain spectacle.

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