UNE grive

Cacao la grive, François Romain

Je m’appelle Cacao, à cause de la couleur de mon plumage, du moins celui que j’ai sur le dos car mon ventre est presque blanc tacheté de brun foncé.

Je vis avec Milka, mon compagnon pour cette année, dans un jardin de la rue des noisetiers à Saint Palais où nous avons bâti notre nid à la fourche d’un des trois chênes au fond du terrain.

La semaine dernière, des trois œufs bleus mouchetés que j’avais pondu deux semaines auparavant, sont sortis trois beaux oisillons : Chocapic, Benco, et Nesquik.

Ils sont mignons mais toujours affamés et Milka et moi devons nous relayer sans cesse pour les alimenter. Heureusement, ce début de mai est plutôt pluvieux et ce ne sont pas les vers de terre, les escargots et les limaces qui manquent.

D’autant plus que le propriétaire des lieux n’arrête pas de jardiner et de creuser des trous partout.

Hier, il s’est mis en tête d’extraire deux souches de petits arbustes qui avaient séché dans la haie. Dès que la première souche a été arrachée, je me suis précipitée vers le trou laissé béant à son emplacement pour me régaler de lombrics et de petites chenilles.

Personnellement, si j’apprécie ce généreux menu de printemps, c’est tout de même l’été que je préfère avec ses récoltes de baies variées, d’olives chipées sur les deux oliviers du jardin, et surtout des grains prélevés sur les rares grappes de la vigne que son propriétaire n’est jamais fichu de tailler correctement. Ce n’est pas pour rien que le vieux mot de grivèlerie désigne le fait de manger au restaurant en partant sans payer et est assimilé par le code pénal au délit de filouterie

Mais relevant la tête, je me suis aperçue que le bonhomme appuyé sur le manche de sa pelle pour se reposer avant d’attaquer la deuxième souche, était en train de me contempler en silence.

Comme il n’avait pas l’air menaçant, après quelques secondes d’observation mutuelle, je suis retournée à mes agapes.

Il faut dire que je suis devenue stoïque depuis que la veille, avec Milka, nous avons eu notre content de frayeur.

Pourtant, dans ce jardin plutôt tranquille, nous ne craignons pas trop les prédateurs. Il y a bien le gros chat roux du voisin mais il est très lent et très bête (le chat, pas le voisin) et notre nid est perché à plus de trois mètres.

Du côté des humains, je ne suis pas née de la dernière couvée et je sais très bien que chez certains chasseurs, le pâté de grive est un grand classique. Mais à la façon dont le maître des lieux se met à râler lorsqu’il entend les bruits de chasse dans le bois voisin, je le vois mal épauler une carabine.

Non, hier c’est contre un autre prédateur que nous avons dû défendre la vie de nos trois drôles.

Un jeune corbeau s’était mis en tête de faire un festin de nos oisillons sans même passer par la case pâté.

Il s’était perché sur une branche surmontant notre nid et s’apprêtait à fondre sur nos petits.

Alors notre sang n’a fait qu’un tour : Même si nous sommes moitié moins gros qu’un corbeau, Milka et moi nous sommes relayés pour mener des attaques en piqué contre le corbac.

Tant et si bien que craignant de perdre l’équilibre, le charognard, est redescendu à terre, faisant profil bas pour éviter nos vols en rase-motte.

Nous ne nous sommes pas contentés de cette première victoire, ayant recours à notre arme secrète pour une neutralisation définitive, nous nous sommes mis à bombarder l’ennemi de…

Fientes lâchées à pleine vitesse, si bien que le noir plumage de l’agresseur s’est vite trouvé moucheté de déjections, certaines reçues en pleine tête.

A moitié aveuglé, terrorisé et humilié, Maître Corbeau profita finalement de ce que nous étions à court de munitions pour prendre honteusement la fuite et probablement recueillir les quolibets et moqueries de ses congénères.

Mis à part cet épisode plutôt animé, la vie est assez tranquille ici. De temps en temps, pour me dégourdir un peu les ailes, je survole un peu les environs.

Dernièrement, un vol plané au-dessus du supermarché voisin m’a permis de constater une curieuse mutation de l’espèce humaine : Les humains sont à présent munis de becs ! Toutes sortes de becs ! il y en des tout blancs et pointus, d’autre plus plats mais à fleurs ou à pois, des bleus, des roses ou à rayures. Je ne sais pas comment ils peuvent attraper des insectes ou des vers avec cela !

Parallèlement, ils ont abandonné cette curieuse habitude de se frotter mutuellement le bec trois ou quatre fois. Ce n’est pas plus mal car je n’ai jamais compris à quoi cela leur servait puisque je ne les ai jamais vu s’offrir le moindre vermisseau !

Je peux me tromper mais il me semble que ces derniers temps, les hommes sont un peu plus respectueux de la gente ailée et qu’ils prennent plus de temps pour observer notre Mère Nature.

Puissent- ils faire preuve, pour la défendre, d’autant de courage que nous pour protéger nos petits !

N.B : L’épisode de la défense aérienne n’est pas purement fictif puisque l’on trouve sur internet des vidéos montrant des grives pratiquant cette stratégie de bombardement.

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