Bercé par le balancement du wagon tracté par la micheline, j’étais sur le point de somnoler lorsque je me rendis compte que nous approchions de Civray.
Je savais que l’automne ayant dépouillé les arbres de la plupart de leurs feuilles, je pourrai bientôt apercevoir, perché à flanc de coteau, le vieux manoir dont je venais d’hériter à la mort de mon grand- oncle veuf sans enfants, dont l’épouse était décédée depuis deux ans.
En effet, à la sortie d’un virage, je découvris au loin la vieille bâtisse aux toits d’ardoises surmontés de hautes cheminées, dont la façade blanche éclairée par un soleil doré, se détachait sur le fond sombre des pins Douglas qui le bordaient.
Cela faisait plus de 10 ans que je n’étais pas revenu au manoir car mon métier de grand reporter m’avait tenu éloigné de France pendant toutes ces années.
J’éprouvais des sentiments plutôt mêlés :
De la nostalgie d’abord, au souvenir des vacances passées durant mon enfance chez mon grand-oncle. Je l’appréciais beaucoup car très sensible et cultivé, il s’efforçait de me faire partager de façon attrayante ses goûts pour la littérature en me faisant découvrir des auteurs à ma portée : Jules Verne, Jacques London, Alexandre Dumas.
Pour la musique, il avait aménagé un petit auditorium sous les combles et les après-midis de pluie, il m’initiait à la musique classique, choisissant dans sa riche discothèque (de disques vinyle, bien sûr) les oeuvres les plus accessibles de Mozart, Vivaldi, Bach et Chopin. Pour être honnête, je dois aussi avouer que pour la musique « moderne » il adorait hélas l’accordéon que je détestais absolument, je prenais alors la fuite, préférant de loin aider ma grand -tante à faire la vaisselle plutôt que de subir, interprétées par l’inoxydable Yvette Horner, les trilles de « perles de cristal » dans une ambiance d’étape du tour de France…
Du bonheur aussi, à l’idée de retrouver, en tant que propriétaire, des lieux que j’avais toujours appréciés pour l’ambiance propice à la sérénité et au repos dont j’avais d’ailleurs bien besoin à ce moment.
Bien sûr, je savais que cet héritage était un cadeau empoisonné car le manoir n’avait pas été très bien entretenu et était bien loin de disposer de tout le confort moderne. Je m’attendais à nouer avec le plombier local des relations aussi régulières que dispendieuses.
A la descente du train, j’eu le plaisir de retrouver Jojo le taxi au volant de sa superbe mais antique Peugeot 504. Nous prîmes aussitôt la route sinueuse menant au manoir. Pendant tout le trajet, J’éprouvais le sentiment de remonter le temps vers mon enfance.
Après avoir traversé la grande prairie, dans laquelle s’ébattaient autrefois un âne et un poney, et longé le bord de l’étang jadis poissonneux, le taxi me déposa enfin devant l’entrée de la maison.
Je profitai des derniers rayons de soleil pour ouvrir fenêtres et volets de toutes les pièces afin de chasser l’odeur de cave qui m’avait saisi en ouvrant la porte.
Ce fut un choc de me replonger dans le décor encore tout imprégné de la présence de mon oncle et de ma tante.
Dans le vestibule, je retrouvai le grand miroir devant lequel, en passant, ma tante remettait en place une mèche un peu rebelle. Dans le salon, près de la cheminée, trônait le grand fauteuil Voltaire où mon oncle passait de longues heures de lecture, sous un lampadaire dont l’abat-jour lui faisait comme un curieux sombrero.
Tout en m’occupant machinalement de rendre la maison habitable en repliant les draps qui recouvraient les meubles et en remettant en marche la vielle chaudière, déclenchant des borborygmes sonores dans les vieux radiateurs en fonte, je luttais contre la tristesse qui m’envahissait.
Soudain retentirent des coups de klaxon dans la cour où venaient de se garer trois voitures : Prévenus par Jojo le taxi, c’étaient mes anciens camarades de vacances qui venaient me souhaiter la bienvenue, avec des paniers chargés de victuailles pour mieux fêter nos retrouvailles. Ils étaient accompagnés de leurs enfants qui s’égayèrent aussitôt dans le parc qui retrouva aussitôt les joyeux échos des jeux enfantins.
Envolées la tristesse et la crainte de la solitude ! Elles furent aussitôt remplacées par l’espoir du retour des beaux jour au vieux manoir…
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