Je me réveille doucement d’un sommeil réparateur, après une journée confortablement passée à l’abri d’une vieille tuile posée contre l’abri de jardin.
Je déplie précautionneusement mes cornes télescopiques en prenant bien mon temps car il y a trois jours, j’ai voulu aller trop vite : l’une de mes cornes du haut est restée coincée pendant toute la journée, si bien que je n’y voyais plus que d’un œil et qu’au lieu de ramper tout droit, je n’arrêtais pas de tourner en rond. C’était d’autant plus gênant que comme pour tous les escargots, la nature a omis de me doter d’une marche arrière !
Heureusement, mes cornes du bas (en fait, des antennes) assure des fonctions olfactives et tactiles très développées et m’ont servi de canne blanche.
Il a plu presque toute la journée mais le ciel s’est dégagé et le jardin est baigné par un beau clair de lune. C’est le temps idéal pour explorer mon territoire en profitant de la rosée qui m’aide à avancer plus facilement. Sans problème, je devrais atteindre une vitesse de pointe d’au moins 0,0036 km/h !
Je commence d’abord par calculer mon itinéraire vers le potager : je préfère éviter la forêt touffue de la pelouse : à mon échelle, le moindre brin d’herbe représente un obstacle de 2 ou 3 mètres de haut !
Je longe la terrasse carrelée qui borde la pelouse, je suis assailli au passage par les effluves de pissenlit et de roquette dont le parfum poivré augmente encore le flot de mucus qui facilite ma reptation.
Je suis un peu inquiet car je sais que je laisse derrière moi une traînée argentée que mes prédateurs n’auront qu’à suivre pour me trouver. Je crains surtout le hérisson venu du bois voisin !
Je croise en chemin cette dévergondée de limace qui, comme d’habitude, se promène toute nue.
Enfin j’arrive à destination : dans des petites croisées de bois m’attendent les plants de tomates et de salade dont je compte bien me régaler.
J’avance prudemment car mes deux années d’existence m’ont appris à me garder des pièges tendus par le jardinier amateur, maître des lieux.
L’année dernière, il avait trouvé malin de répandre de la cendre autour du potager. J’avais eu beaucoup de mal à franchir cet obstacle car la cendre absorbait toute ma bave et j’ai failli tomber en panne sèche, tout déshydraté.
Heureusement, exauçant l’énergique prière de son épouse, il a renoncé à ce stratagème après que le vent ait dispersé une bonne partie des cendres sur le linge mis à sécher sur l’étendoir tout proche.
Autre danger : Ces petits granulés bleus répandus sur la terre et dégageant une odeur alléchante. Comme je suis très prudent j’avais commencé par en goûter un du bout des lèvres avant de ressentir une vive brûlure, je l’ai donc recraché aussitôt, échappant de justesse à l’empoisonnement.
Heureusement, un plan de batavia est resté sans protection et je m’en régale aussitôt, en prenant soin de ne pas le dévorer en entier pour qu’il puisse repousser, respectant ainsi un accord tacite avec le jardinier qui accepte de sacrifier une petite partie de ses plantations pour en préserver l’essentiel.
Je goûte aussi les feuilles des pieds de tomates. La saison n’est pas assez avancée pour que les tomates soient déjà formées mais les fleurs, et même les feuilles ont déjà la saveur des fruits à venir.
Je rends également visite aux fraisiers. Les fraises ne sont pas tout à fait assez mûres et un peu trop fermes. Grâce à ma langue hérissée de centaines de petites dents, semblable à une râpe de menuisier, je parviens tout de même à me régaler de leur goût un peu sûr mais rassurant (car quand c’est sûr, c’est qu’il n’y pas de doute)
Je me tiens par contre à distance des pieds de menthe dont l’odeur trop forte m’incommode.
Après ce festin de minuit, je décide de faire une petite sieste en me cachant derrière un sac de terreau pour éviter d’être découvert lorsqu’il fera jour et d’être convié à participer, contre mon gré, à une cagouille à la charentaise.
Je me recroqueville donc dans ma coquille (merci pour la rime riche !), en la fermant d’un petit opercule de mucus qui en séchant, me protègera aussi bien de la fraîcheur de la nuit que de la chaleur du soleil.
Je m’endors, et repensant aux légendes qui courent parmi le peuple escargot, je rêve, comme tout bon samaritain, de visiter un jour le potager de la belle jardinière de Saujon.
Add a Comment